Histoire de l'Art 4 eme année

Histoire de l'Art 4 eme année
N.Victor-Retali Casino 2008 (de la série "Désapparences")

mardi 21 septembre 2010

TABLE DES MATIERES ET DES LIENS

HISTOIRE
L'ART ROMAN (1) CHAPITRE 1 : L'ARCHITECTURE ROMANE 
L'ART ROMAN (2) CHAPITRE 2. LA SCULPTURE ROMANE 
L'ART GOTHIQUE (1) CHAPITRE 3. L'ARCHITECTURE GOTHIQUE 
L'ART GOTHIQUE (2) CHAPITRE 4. LA SCULPTURE GOTHIQUE : CARACTERISTIQUES 
L'ART GOTHIQUE (3) CHAPITRE 4. LA SCULPTURE GOTHIQUE : ICONOGRAPHIE 1. LA FORME 2. LE CONTENU L'ART GOTHIQUE (4) CHAPITRE 5 LE GOTHIQUE INTERNATIONAL ET LA RENAISSANCE DANS LE NORD, XV°S (OU LES PRIMITIFS FLAMANDS). 
LA RENAISSANCE (1) CHAPITRE 6. LA RENAISSANCE EN ITALIE :LA PERSPECTIVE
LA RENAISSANCE (2) CHAPITRE 7. LA RENAISSANCE EN ITALIE : LA RENAISSANCE CLASSIQUE : XIV-XV° Siècles. 
LA RENAISSANCE (3) CHAPITRE 8. UN ARTISTE DE LA RENAISSANCE : LEONARD DE VINCI (1452 – 1519) 
LA RENAISSANCE (4) CHAPITRE 9. LES PEINTRES DE LA RENAISSANCE CLASSIQUE (XIV-XV°S) 
LA RENAISSANCE (5) CHAPITRE 10. LA RENAISSANCE MANIERISTE XVI°S 
LA RENAISSANCE (6) CHAPITRE 11. LA RENAISSANCE MANIERISTE XVI°S : LES ARTISTES LE XVII°SIECLE (1) CHAPITRE 12 LA PEINTURE REFORMEE : LE XVII°SIECLE AUX PAYS-BAS 
LE XVII° SIECLE (2) CHAPITRE 14. LE CLASSICISME : le XVII°SIECLE 
LE XVII° SIECLE (3) CHAPITRE 14 (suite) BAROQUE ET CLASSICISME : le XVII°SIECLE : LES ARTISTES 

PARENTHESE : L'ICONOGRAPHIE 
ICONOGRAPHIE (1 & 2) CHAPITRE 15 ICONOGRAPHIE 1 : LES SAINTS 2 : LES PROPHETES 
ICONOGRAPHIE (3) CHAPITRE 16 ICONOGRAPHIE 3 : LES HEROS MYTHOLOGIQUES 
ICONOGRAPHIE (4 & 5) CHAPITRE 17 ICONOGRAPHIE 4 : LES SCENES FREQUENTES CHAPITRE 18 : ICONOGRAPHIE 5 : LE NU 

REPRISE DE L'HISTOIRE 
LE XVIII° SIECLE (1) CHAPITRE 19 LE ROCOCO - CHAPITRE 20 LE "GENRE MORALISANT" 
LE XVIII° SIECLE (2) CHAPITRE 21 LA NATURE MORTECHAPITRES 22 & 23 LE NEOCLASSICISME 
LE XVIII° SIECLE (3) CHAPITRE 24 LA SCULPTURE NEOCLASSIQUE 
LE XVIII° SIECLE (4) CHAPITRE 25 LE NEOCLASSICISME. (fin) CHAPITRE 26 LE ROMANTISME (1) 
LE XIX° SIECLE (1) CHAPITRE 26 LE ROMANTISME (2) CHAPITRE 27 DANS LES MARGES DU ROMANTISME : PRERAPHAELISME & SYMBOLISME
LE XIX° SIECLE (2) CHAPITRE 28 LE NATURALISME ET LE REALISME 
LE XIX° SIECLE (3) CHAPITRE 29 L’IMPRESSIONNISME 
LE XIX° SIECLE (4) CHAPITRE 29 & 30 : L'IMPRESSIONNISME (2) CEZANNE (1) 
LE XIX° SIECLE (5) CHAPITRE31 : LE NOUVEAU MONDE DE LA PEINTURE 1. LA CONSTRUCTION DE L’ESPACE (1) : CEZANNE 
LE XX° SIECLE (1) CHAPITRE 32: LE NOUVEAU MONDE DE LA PEINTURE 2. LA COULEUR : LE FAUVISME CHAPITRE 32 : L’EXPRESSIONNISME LE XX° SIECLE (2) CHAPITRE 33: LE NOUVEAU MONDE DE LA PEINTURE 3. L'ESPACE : LE CUBISME (1) 
LE XX° SIECLE (3) CHAPITRE 33(suite) : LE NOUVEAU MONDE DE LA PEINTURE 3. L'ESPACE : LE CUBISME (2) 
LE XX° SIECLE (4) CHAPITRE 34 : LE NOUVEAU MONDE DE LA PEINTURE (3). L'ESPACE (3) MATISSE ET PICASSO 
LE XX° SIECLE (5) CHAPITRE 34(suite) LE NOUVEAU MONDE DE LA PEINTURE (3). L'ESPACE (3) MATISSE ET PICASSO (2). 
LE XX° SIECLE (6) CHAPITRE 35 & 36 : LE NOUVEAU MONDE DE LA PEINTURE (4) : L'ART ABSTRAIT, LE SURREALISME. 
LE XX° SIECLE (7) CHAPITRE 37 LA REVOLUTION DUCHAMP 
LE XX° SIECLE (8) CHAPITRE 38 L’EXPRESSIONNISME ABSTRAIT (1) 1942-1952
LE XX° SIECLE (9) CHAPITRE 38(suite) L’EXPRESSIONNISME ABSTRAIT : DEUXIEME GENERATION 
LE XX° SIECLE (10) CHAPITRE 39LA FIN DE L’AVANT GARDE : VERS UN NOUVEAU "REALISME" : LA DISPARITION DE L'ARTISTE. 
LE XX° SIECLE (11) CHAPITRE 40 LES NOUVEAUX REALISTES 
LE XX° SIECLE (12) CHAPITRE 41 LE POP ART LE XX° SIECLE (13) CHAPITRE 42 L’HYPERREALISME 
LE XX° SIECLE (14) CHAPITRE 43 : LA MISE A MORT DE LA PEINTURE : BMPT (1967) ; SUPPORT / SURFACE (1969 – 1972) ; GRAV (1960 – 1968). 
LE XX° SIECLE (15) CHAPITRE 44 : LA DESTRUCTION DE L’OBJET (1) : LE MINIMALISME 
LE XX° SIECLE (16) CHAPITRE 45 LA DESTRUCTION DE L’OBJET (2) : L’ART CONCEPTUEL 
LE XX° SIECLE (17) CHAPITRE 46. BODY ART ET PERORMANCE 
LE XX° SIECLE (18) CHAPITRE 47 LAND ART ET EARTH ART 
LE XX° SIECLE (19) CHAPITRE 48 LE “RETOUR” A LA FIGURATION 
LE XX° SIECLE (20) CHAPITRE 49 LE POSTMODERNISME XX & XXI°SIECLES (1) CHAPITRE 50 L'ART CONTEXTUEL XX & XXI°SIECLES (2) CHAPITRE 51 LA PEINTURE CONTEMPORAINE (1)
XX & XXI°SIECLES (3)CHAPITRE 52LA PEINTURE CONTEMPORAINE (2) 
XX & XXI°SIECLES (4) CHAPITRE 53LA PEINTURE CONTEMPORAINE (3) 

DOSSIERS / 
LA PERSPECTIVE EN PEINTURE
LA FEMME ENIGMATIQUE 
LE CRI 
DE L’USAGE POLITIQUE DU NEOCLASSICISME : NAZISME ET STALINISME
DOULEURS, SOUFFRANCE ET SPIRITUALITE. 
LE MIROIR (LA FEMME) LA PEINTURE 
HORS D’ŒUVRE : ORDRE ET DESORDRES DE LA NOURRITURE...
FIGURATION (ABSTRACTION) DEFIGURATION 
LES SIX REGARDS SUR L'OEUVRE D'ART

BIBLIOGRAPHIE : LISTE DES OUVRAGES CONSULTES

lundi 20 septembre 2010

XX & XXI°S CHAPITRE 50 L'ART CONTEXTUEL

CHAPITRE 50 L'ART CONTEXTUEL
Jacques ROUVEYROL


INTRODUCTION


L’art du Moyen-Âge est immédiat en ce sens qu’une « œuvre » n’est pas une « œuvre » mais un message qui « parle de Dieu ». Le Moyen-Âge, d’ailleurs, ne connaît pas d’artiste. Celui-ci se distingue de l’artisan seulement à la Renaissance. Disons grossièrement que l’art du Moyen-Âge est de l’ordre du fait.
L'Adoration des Mages du XII°S, ci-dessous, à Autun raconte une histoire
A partir de la Renaissance où il prend naissance, l’art se situe résolument dans la réflexion et non plus dans le fait.

1.Réflexion du monde, jusqu’à Manet et l’impressionnisme. Un tableau est une fenêtre (Alberti), un miroir (Platon).



Même cet Apollon et Daphné du XVII° (Poussin), ci-dessus, qui « illustre » un épisode des Métamorphoses d’Ovide, ne fait que présenter le reflet idéalisé des relations simplement humaines.



2. Réflexion sur cette réflexion, c’est-à-dire sur la peinture elle-même, à partir de 1863, Olympia de Manet.
Le « sujet » de ce tableau, on l’a vu, n’est nullement une prostituée recevant l’hommage d’un client satisfait et attendant le suivant. C’est, sur la surface d’une toile, « des couleurs assemblées ». Premier tableau.

3. Toute la suite, on l’a vu, n’est rien qu’un progrès de cette réflexion (ou conscience).

a. Cézanne se demande comment nous faisons pour percevoir le monde. Ci-dessus, La Montagne Sainte-Victoire 1887 Courtauld Institute of Art, Londres.

b. Matisse et Picasso, à leur tour, se demandent comment un monde de la peinture peut-il se constituer, différent de et pourtant compatible avec la réalité ordinaire ?

c. L’abstraction prend la peinture elle-même comme objet de réflexion, refusant toute compromission (représentation) avec le monde. A preuve, Malevitch et sa Composition blanc sur blanc 1918.

d. Le surréalisme puis l’expressionnisme abstrait, chacun à sa manière, s’interrogent sur le rôle du sujet (du peintre) dans la réalisation de l’œuvre. Projection de l’inconscient pour le premier; décision libre à partir de poussées « instinctives » pour le second.

e. Dans le même sens, mais avec un matériau différent (travaillant sur la matière et plus seulement sur la forme) le Post-expressionnisme américain et les Nouveaux Réalistes français (et italiens), ci-dessous, se demandent comment la « propriété œuvre d’art » parvient à la matière (même la plus triviale : le déchet).



f. Exactement à l’opposé, mais toujours dans l’effort d’une augmentation de la conscience, le Pop'art puis l’Hyperréalisme s’intéressent à la forme pure, dématérialisée : l’image qui est devenue le nouvel objet « réel» pour la perception de l’homme contemporain (occidental) : le consommateur. Comment voyons-nous aujourd’hui le monde qui nous entoure ? C’est la question posée par ces deux courants.

g. Le Minimalisme et l’Art Conceptuel, qui dominent en fait l’art contemporain sous ses diverses formes jusqu’au Postmodernisme, placent dans la conscience elle-même, en somme, l’œuvre. A la limite, sa réalisation (pour l’art conceptuel) est sans intérêt. L’œuvre d’art réside dans la description de son processus de réalisation. On ne saurait aller plus loin.

h. Le Body Art, la Performance, le Land Art, même s’inscrivent dans la manière de concevoir minimaliste. Le Body Art opère un retour sur le « sujet » mais un sujet différent : ni l’inconscient des surréalistes, ni le sujet « authentique » des expressionnistes gestuels : le corps ni-sujet-ni-objet. L’art peut se passer d’artistes. Dans la performance c’est le processus qui compte (comme pour les minimalistes). Il peut peut-être aussi se passer de l’œuvre. Les œuvres du Land Art sont toutes (par définition) éphémères.

4. La remise en question de « l’évolution » de la conscience : le Postmodernisme.

i. Le Postmodernisme tourne radicalement le dos à toute l’évolution de l’art depuis l’Olympia de Manet. Il affirme l’équivalence des œuvres, des courants, des époques. L’équivalence du passé et du présent. Ce faisant, il remet en question la valeur-même de l’art : si tout s’équivaut, tout a la même valeur. Rien ne vaut plus.
Ci-dessous Tadashi Mirakami et Jeff Koons.


Ce nihilisme est-il l’essence de l’art actuel ? C’est la question que nous devons entreprendre de nous poser.


II. L'ART CONTEXTUEL

1. L’art moderne est fait pour la galerie, le musée, la collection.
a. Ce n’était pas le cas de l’art Renaissant, particulièrement, l’art des fresques. Il était fait pour des lieux : les chapelles, chambres, salles d’apparat. Voir par exemple Masaccio, Masolino à l'Eglise del Carmine Chapelle Brancacci.

b. Ce n’était pas non plus le cas de l’art médiéval fait pour les églises, les cathédrales.

c. La Renaissance, il est vrai connaît les tableaux et le XV° siècle (voire la seconde moitié du XIV°), dans le Nord, les sculptures et les peintures portatives. Un art de collection.

d. C’est au XVII° et jusqu’au XX° (et encore aujourd’hui) que le tableau et une sculpture se développent, destinés à la collection, à la galerie (au marchand) puis, après la Révolution, au musée.

e. L’une des caractéristiques de certains courants contemporains, c’est un nouveau rapport à l’exposition et au public. Il y a certes un environnement, un happening, des installations, une performance qui sont dédiés à l’espace privé de la galerie.
Mais il y aussi un art qui vient occuper délibérément (officiellement ou subversivement) l’espace public. Un tel art est événementiel : lié à un lieu, à un moment, à une circonstance. On le nomme Art contextuel. Sanja Ivekovic, en face de la Gëlle Fra (la Femme en Or), symbole de la nation du Luxembourg, dédié aux morts des deux guerres, érige, grandeur nature, sa Rosa Luxembourg enceinte (ci-dessous), figure révolutionnaire et féministe qui n’a guère plu aux nationalistes et aux organisations de la Résistance.


Ci-dessous, Ici, Valie Export arpente les rues, la poitrine nue logée dans une boite affectant la forme d’un petit théâtre priant les passants de tâter ses seins .

Joël Hubaut demande à la population de Deauville de se vêtir de rouge pour défiler dans les rues de la ville. Ce sera La place rouge à Deauville (1996).


2. In situ


a.Une première manifestation de cet art contextuel est statique. Il s’agit de détourner un lieu ou de détourner le regard sur un lieu. Ici, le « contexte » est un espace, plus précisément un lieu (au sens quasi aristotélicien ou médiéval du terme. Voir Cours de Première année Chapitre 2 La Sculpture romane ). Ce que fait Buren au Palais Royal est de cet ordre. On redonne à voir un endroit auquel des siècles d’habitude avaient ôté de l’intérêt. Ce n’est que lorsque les colonnes nouvelles ne surprendront plus à côté des anciennes que l’œuvre sera à renouveler.



3. Mobile

b. Une autre manifestation, sans doute la plus fréquente, est dynamique.
-->C’est d’abord le cas de la marche. On se souvient des Lignes de Richard Long. De la Marche au ralenti d’Orlan à Saint-Etienne. Chez le premier c’est la ligne droite qui prévaut, chez la seconde, l’habitude d’un trajet.
C’est une première catégorie de déplacement : le déplacement motivé.

-->On a aussi une démarche qui privilégie le trajet aléatoire et qui fait apparaître le lieu-ville comme un labyrinthe dans lequel il est plus aisé de se perdre que de se retrouver. C’est le sens de Map Piece (1962) de Yoko Ono qui fait dessiner à des passants une carte pour se perdre avant d’en suivre les indications. Le sens aussi de This Way Brouwn (1962) de Stanley Brouwn qui demande qu’on lui indique au hasard, sur une feuille de papier, un itinéraire qu’il doit suivre ensuite.



-->Les filatures d’Acconci qui suit en le filmant un passant pris au hasard ; celle de Sophie Calle qui loue les services d’un détective pour se faire suivre elle-même, feignant d’ignorer cette poursuite, dessinent aussi des trajets aléatoires et imprévisibles (pour le détective dans le deuxième cas). C’est une seconde catégorie de déplacement : le déplacement aléatoire.

-->L’absurdité-même de la démarche interroge, produit du sens, engendre une prise de conscience. La ville révèle sa dimension de labyrinthe : il est plus facile de s’y perdre que de s’y retrouver. Si elle se donne pour le lieu par excellence de l’anonymat (on prend en filature n’importe qui), elle apparaît encore comme un espace de « transparence » dans lequel le citadin s’expose (des caméras le « suivent » partout).
Andre Cadere portant son bâton coloré là où un quelconque passant, répondant à sa injonction, lui a demandé de le porter.




Dans le contexte de la ville, on peut donc se déplacer. Que signifie, ici, contexte ? Il n’est de « contexte » que d’un « texte ». Le déplacement est le texte. Mais, alors que dans la vie quotidienne le « contexte » précède le «texte » de nos déplacements avec cette conséquence que ces déplacements ne sont pas signifiants (ou plutôt, ont une signification latente : aller au travail, faire du shoping, etc.) et que le « contexte » lui-même demeure inaperçu (je fais seulement attention à traverser sans me faire renverser, je regarde les vitrines qui m’intéressent, etc.), les déplacements qu’on dira contextuels ont pour résultat de faire apparaître la ville comme contexte de toutes mes actions. L’œuvre (le déplacement motivé ou aléatoire) révèle la ville comme contexte de toute notre activité.

-->Les œuvres mobiles prennent, pour l’essentiel, trois visages :


* Celui, d’abord, d’œuvres interactives. Comme les marches urbaines de Fluxus, le happening de Kaprow, en 1963, promenant des visiteurs dans les rayons du Bon Marché à Paris, le Cityrama de Wolf Vostell promenant en autocar dans la ville ses spectateurs.

Ainsi, Marc Boucherot Tout va bien (2001), ci-dessous, balade-t-il son triporteur sonorisé incitant à boire, manger et danser et Fabrice Gygi ses Snacks Mobiles.




L’interactivité est le coeur du travail de Lygia Clark. Nostalgia do corpo coletivo 1(965-1988), ci-dessous, est une séance organisant une proximité intense entre des participants enserrés dans un filet.




Elle met au point Dialogo-Oculos qui est un système fixant l’une à l’autre deux paires de lunettes contraignant les regards de deux personnes à se croiser.




Baba Antropografica (1973) consiste à emprisonner un corps dans une sorte de cocon au moyen de fils tenus, par la bouche ou par les mains, que les participants enroulent autour de lui.



Chez Lygia Clark, ce n’est pas tant l’environnement « matériel » de la ville qui importe (ses bâtiments, ses rues) que d’une part les expériences sensorielles que nous effectuons au sein d’une collectivité et, d’autre part, ce qui résulte de ces expériences quant à la structuration de notre subjectivité (jusqu’à quel point peut-on (peut-on-même ?), dans un collectif, distinguer ce qui en nous est sujet et ce qui en nous est objet ?
L’expérience de la ville comporte cela et seule une œuvre interactive (ou participative) peut nous permettre d’approcher une prise de conscience de ces réalités. Dans le sujet individuel il y a, latent, un sujet collectif. Ce qu'un des premiers, de façon "scientifique", le "père" de la sociologie, Emile Durkheim, met en évidence dans ses Règles de la Méthode sociologique en élaborant la notion de fait social.

* Celui, ensuite, d’objets mobiles. Nicolas Schöffer crée la première sculpture « chromodynamique » SCAM 1
(1973). Montée sur un châssis Renault, la sculpture lumineuse se déplace dans les rues de Paris ou de Milan (à la différence d’autres sculptures comme Chronos 5 par exemple (1960) qui sont « mobiles » en salle comme les mobiles de Calder ou les machines de Tinguely).



Gabriel Orozco pousse sa Yielding Stone (1992) dans les rues. La boule de pâte à modeler relève toutes les empreintes sur son passage dans les rues de New-York et d’autres villes, empreintes qui se solidifieront quand la pâte viendra à sécher.
Krzysztof Wodickzo réalise des Homless Vehicles (1988) destinés aux sans-abris de New York, caddies servant au transport des « biens » et au couchage.



Et aussi des Poliscars destinés au même usage.



* Celui, enfin de l’artiste nomade dont le déplacement constitue l’œuvre d’art. Oleg Kulik métamorphosé en chien, déambulant nu, à quatre pattes au bout d’une laisse dans les rues. Ou Günter Bruss arpentant, le corps peint, les rues de Vienne (Voir Cours de 3eme année, Chapitre 46).



C'est Michelangelo Pistoletto en 1967 qui roule sa Walking Sculpture (une sphère de carton) dans les rues de Turin.



Que signifie cette mobilité-là ? Non plus que la ville est un labyrinthe (c’était le sens des Marches), non plus qu’elle est le lieu du transitoire parce qu’elle est lieu de transit, mais que la ville est aussi un champ de forces qui ne laisse rien immobile et que l’art a à sortir de l’espace immuable et intemporel du musée s’il veut rendre compte de la réalité.
En rendre compte non la représenter comme le faisaient par exemple ces extraordinaires peintres de la ville que furent les impressionnistes.
Qu’est-ce que « en rendre compte » ? C’est toujours la même chose. Dans la rue, nous faisons mille écart pour avancer entre les autres passants, des mouvements de foule nous entraînent, des événements attirent notre attention, mais nous n’avons pas conscience de la mobilité qui nous anime, des forces qui nous déplacent. Les œuvres contextuelles sont là pour éveiller en nous, une fois encore, la conscience du contexte dans lequel nous nous trouvons placés.

4. L'affichage.

-->La ville est un ensemble de murs recouvert d’affiches : « Défense d’Afficher », slogans publicitaires, affiches électorales, …). Les murs parlent.
Ou bien nous ne les voyons plus ou bien la cacophonie est telle que nous fermons les yeux, nous bouchons les oreilles, contraignant le publiciste à toujours davantage d’inventivité pour attirer notre attention, nous tenir un discours intelligible.
En quoi le fait d’ajouter des affiches est-il propre à faire advenir à nouveau (ou un nouveau) du sens ?

"Je n'expose pas des bandes rayées, mais des bandes rayées dans un certain contexte » , explique Daniel Buren lorsqu’en 1968 il réalise des affichages non autorisés : de simples bandes noires et blanches. Ci-dessous, Affichage Sauvage (1969). Celui-là est autorisé, mais pas d’invitation, pas de galerie, pas d’explication.


Des affiches qui ne disent rien. Oui mais en place d’affiches publicitaires qui ne cessent de dire (contexte). Mais de dire quoi ? A force de parler sans arrêt, à force que ce discours incessant soit multiple, ces affiches finissent elles-mêmes par ne rien dire.
Les affiches « silencieuses » de Buren nous font prendre conscience de l’inconsistance d’un discours qui, pour être incessant et polyphonique finit par n’être qu’un bruit à travers lequel l’information est réduite au silence.
Les affiches de Buren ne sont pas des affiches parmi d’autres. Leur « silence » en fait des énigmes pour le badaud. Elles parlent du ne-rien-dire des autres. Celle Tania Mouraud Ni ( City Performance N°1 1977-1978) ne dit pas davantage puisqu’il n’est pas précisé à quoi ce « Ni » s’oppose.



Le Race de Les Levine (1984) sur Los Angeles Highway est un mot associé à une image sans rapport (qui rappelle le schéma du fondateur de la linguistique, De Saussure, pour le signe, schéma associant un mot (phonétiquement écrit) : « arbre » (le signifiant) au dessin d’un arbre (le signifié)). Rappel, peut-être, mais incongru, d’abord de se trouver là au bord d’une route, ensuite du fait de l’absence de rapport entre le mot et l’image (absence de rapport, ou plus précisément : rapport arbitraire, qui, rappelons-le, est par ailleurs essentiel à cet élément de la langue qu'est le signe). Mais, toutes ces publicités que nous entrevoyons en roulant ont-elles davantage de sens pour nous ?



A la différence des panneaux habituels, justement à cause de leur incongruité, les panneaux de Les Levine ou de Claire Dehove (Alerte rouge affichage sur 500 panneaux publicitaires urbains, Dauphin et Giraudy) demandent que l’on s’arrête sur le bord de la route et qu’on s’interroge. Là encore, c’est à un éveil de la conscience qu’on se trouve invité.



Ce détournement de l’affiche se prolonge en détournement de la signalétique. « Chartres, sa cathédrale, etc. », Des panneaux annoncent les charmes de la ville sur le bord de l’autoroute qui y conduit. Robert Milin, près de Rennes, réalise en 1998, une série de panneaux : Cleunay : ses gens. Ci-dessous, l’un de ces panneaux : Odette. C’est dire qu’une ville, ce sont d’abord ses habitants, des gens, seulement ensuite des monuments. C’est donc remettre les choses à leur place, place qui nous est depuis longtemps sortie de l’esprit.




--> A côté de l’affiche, la bannière. Moins « ordinaire » dans notre vie quotidienne, la bannière ne gagnerait rien à être « silencieuse ». Elle est dès lors engagée. Ainsi de Chile Vencera Banner (1974) de John Dugger, déployée à Trafalgar Square à Londres contre Pinochet et son régime.




D’autres affiches parlent. Mais, à la différence des affiches publicitaires dont la raison d’être est la séduction, celles-ci rappellent, ramènent à la réalité. Ainsi de Rwanda, Rwanda d’Alfredo Jaar (1974), ci-dessus. Mais c’est encore ici en ce qu’elles se distinguent des affiches publicitaires et en ce qu’elles éveillent une conscience endormie qu’elles fonctionnent comme œuvre d’art (ici dans le contexte d’un massacre).

Dans Texte/Contexte (1979) Joseph Kosuth utilise un panneau publicitaire pour expliquer au passant comment la publicité portée par ces panneaux le conditionne. Cette publicité anti-publicitaire joue dans le même registre que l’Affichage de Buren : utiliser l’affiche pour dénoncer l’affiche. Ici, texte (« silence » de Buren, « explication » de Kosuth) et contexte (l’espace publicitaire, l’affiche) sont une seule et même chose. L’absurde (une affiche muette, une affiche qui met en garde contre l’affiche), là encore, comme chez Yoko Ono, Stanley Brouwn, Cadere, révèle, fait prendre conscience de ce que nous savons seulement de façon latente : tout ce bruit publicitaire est si insupportable que nous avons résolu d’être sourds … malheureusement aussi à ce qui n’est pas lui.



Ainsi encore de Power for the People accrochée sur Battersea Power Station, Londres (1972) par Rose Finn-Kelcey.



--> Il y a donc l’affiche, la bannière, il y a encore bien des sortes d’ »affichages » qui sont utilisés par les artistes contextuels : à commencer par
* des objets insolites disposés ici et là de façon incongrue. Tels les Cadenas de Gilbert Boyer, cadenas gravés accrochés sur les éléments du mobilier urbain destinés à empêcher les piétons de traverser hors des passages dits protégés. Cent mots (verbes) énonçant le plus souvent une action, mais cadenassée (entravée) :« désirer», « partager », toucher », « communiquer », « provoquer », etc.


* des bilboards à la manière de Patrick Mimran



* des systèmes lumineux (projections ou panneaux) qui permettent par exemple à Jenny Holzer de dérouler ses Truisms .



5. Un art éphémère


--> Il apparaît aussi, qu’il s’agisse de la marche ou de l’affiche qu’une des caractéristiques essentielles de l’art contextuel est son caractère éphémère. Les palissades de Buren, percées de fenêtres colorées qui donnent à voir les colonnes sous des couleurs différentes, ne durent que le temps des travaux au Palais Royal.
La ville est un contexte mouvant, en devenir perpétuel. Le « texte » doit donc sans cesse s’adapter. Une affiche n’est pas faite pour durer. La ville est un lieu dans lequel on transite, dans lequel, en même temps, tout est transitoire. A l’opposé du musée fait pour la conservation.
Ainsi, Gordon Matta-Clark profite-t-il des démolitions des immeubles de tel ou tel quartier pour y produire des vues inattendues qui ne dureront qu’un temps : exposition de l’intérieur d’une maison après en avoir ôté la façade ou aussi bien, exposition depuis l’intérieur par découpage d’un cercle dans la façade.
Ci-dessous, Building cut, 27-29 rue Beaubourg Biennale de Paris (1975).



7. Contexte paysager

Le peintre naturaliste du XIX° n’est pas sans action sur la nature : il en prélève des fragments pour en faire du paysage. Il donne à voir des visage de la Nature.
Mais son action est d’abstraction. Au sens strict du terme : il sépare (abs-trait) de la matière son apparence, comme le mathématicien sépare de la table sa surface pour en donner la mesure.
Le Land Art, le Earth Art quelque « conceptuels » qu’ils puissent être dans leur essence (voir Cours de 3eme Année Chapitre 47 Land Art & Earth Art ) mènent des actions concrètes sur la matière-même de la nature.
Pourtant, tous les earthworks (les œuvres de Walter De Maria, de Hans Haake, de Dieter Roth, etc.) restent le plus souvent des mises en scène de la Nature et n’ont pas le caractère des œuvres contextuelles.
L’artiste contextuel s’installe dans la nature c’est-à-dire dans la matière-même de la nature. C’est ce que fait Walter De Maria en 1977 avec Lightning field. Il s’agit là de sculpter la foudre en se plaçant naturellement dans le contexte météorologique local. On agit sur le « paysage ».



Pourtant, là encore, il faut distinguer :


-->Se placer dans la nature comme dans un espace d’exposition pour y installer des œuvres. Certes, la nature se donne bien alors comme le contexte de l’œuvre, mais de façon pour ainsi dire contingente. L’œuvre se présente mais ne s’inscrit pas (au sens fort) dans le contexte. Ainsi par exemple des œuvres de Christo et Jeanne-Claude. Ou encore la Rivière de Lin (1997) réalisée par Jacques Leclerc-K entre Liercourt et Sorel en Vimeu, dans la vallée du Friolet avec l’aide d’un grainetier et de quatre agriculteurs (ci-dessous). L’œuvre s’installe dans un paysage dont elle ne modifie que superficiellement l’apparence. Denis Oppenheim dessine dans la neige avec une pelle ou une motoneige, Richard Long trace des lignes en marchant ou dessine des cercles avec des pierres. Ce sont des œuvres qui ne sont pas réellement contextuelles dans la mesure où il n’y a pas entre le « texte » et le contexte de lien consubstantiel.




-->Sculpter en creux. Attaquer la surface, creuser dans la matière naturelle, réaliser des « sculptures négatives ». C’est le travail, par exemple, de Michaël Heizer avec Double Négative (1969-1970) dans le Nevada. Travail spectaculaire, visible par satellite. Mais pas vraiment contextuel, car la sculpture obtenue est pour ainsi dire indépendante du contexte dans lequel elle est réalisée. Là encore, pas de consubstantialité entre « texte » et contexte.
-->Le earthwork contextuel développe donc un texte complètement lié à son contexte. Les Sun Tunnels (1976) de Nancy Holt dans l’Utah n’ont aucune valeur « décorative » et n’ont de sens que par rapport au mouvement du soleil, orientés qu’ils sont par rapport aux solstices. Une sorte de « communion cosmique ».



--> Observatory (1970-1977) à Oostelijk-Flevoland aux Pays-Bas crée un espace non à voir mais où se placer pour voir. Cet emplacement n’est pas non plus choisi au hasard, il est fonction des positions du soleil au moment des solstices. En somme, c’est ici le contexte qui écrit (ou guide l’écriture) le texte. Consubstantialité.




Même thème de l’observatoire pour Sylvie Blocher avec Paysage abstrait pour la solitude du touriste n° 4 (1989) ou Observatorium (1992) de Marinus Boezem.

-->La dimension cosmique des œuvres liées à la notion générale d’observatoire (les œuvres de Nancy Holt entrent dans le cadre de cette notion) sont évidemment contextuelles, on a vu pourquoi.
Toutefois, toutes œuvres contextuelles liées à l’intervention sur la nature ne sont pas nécessairement « cosmiques ». A la prise de conscience de notre situation dans l’univers à laquelle contribuent ces réalisations, il faut ajouter toutes les œuvres à dimension écologiques qui, d’une autre manière, traitent de notre situation dans la nature vivante.
Nicolas Uriburu, avec Green Peace, colore en vert les eaux du Riachuelo, à Buenos Aires, une des Rivières les plus polluées au monde (2010).



Joseph Beuys, à la Documenta 7 de Kassel en 1982 commence la plantation de 7000 Chênes. Chaque chêne est associé à une colonne de basalte. Les 7000 colonnes de basalte sont disposées en tas au début de l'action dans un parc de Kassel. Les acheteurs paient cinq cents Deutsch Mark pour planter un arbre au pied duquel est disposée la colonne de basalte, et reçoivent un reçu.




Sur la question écologique, l’art contextuel a encore beaucoup à dire. Il ne lui appartient pas sans doute de résoudre la question (de planter 7000 arbres), mais une fois encore d’éveiller la conscience. En refusant le « paysage » des peintres naturalistes, les mises en scène des land artistes voire les installations qui font de la nature davantage un « décor » qu’un contexte, ils affirment qu’il n’y a pas (ou plus) de nature et qu’il nous appartient d’en produire une qui soit autre chose qu’une ruine.

Aux antipodes de l’art postmoderne, l’art contextuel. Le premier, en effet, est un « texte » sans contexte. Tadashi Murakami est-il à sa place à Versailles ? Parce qu’il est très fortement investi, le contexte résiste encore dans l’indignation de certains spectateurs. Pourtant Murakami est à Versailles après Koons. Ce qui signifie que le contexte est indifférent à la présentation de l’œuvre. Tongari-Kun (2003-2004) n’est pas «déplacé » dans le Salon d’Hercule. Mais, du coup, ce n’est pas non plus sa place.


L’œuvre postmoderne est à l’image de la « globalisation », elle est de partout, elle peut aller partout. Elle est sans contexte. L’œuvre contextuelle, à l’inverse, n’a qu’un lieu, n’a qu’un temps. Elle s’inscrit dans un «univers» donné puis s’efface lorsque cet « univers » se retire.
Il y a quelque chose d’existentialiste dans la « pensée » contextuelle : la liberté ne s’exerce que dans les limites de la "situation", mais elle n’existe aussi que par cette situation. Je n’ai le choix de vivre ou de mourir que parce que (c’est ma situation :) je suis né. Certes, cette situation ne guide pas mon choix, mais elle rend nécessaire que je choisisse (« condamnés à être libres », écrit Sartre).
De la même manière l’œuvre, l’artiste ne s’inscrivent dans la ville, dans la nature que selon les modalités de la ville (mobile, transitoire, éphémère, etc.) ou de la nature. Paradoxalement, l’œuvre contextuelle (si mobile soit-elle) n’est pas transportable comme la postmoderne.
Faut-il choisir ? Le postmodernisme va-t-il balayer l’art contextuel comme il semble avoir balayé l’art dominant minimaliste ou conceptuel ? L’histoire de l’art n’est pas une Bible on y rencontre rarement des prophètes.

XX & XXI°S CHAPITRE 51 LA PEINTURE CONTEMPORAINE (1)

CHAPITRE 51 La Peinture contemporaine (1)Jacques ROUVEYROL


INTRODUCTION

1. La fin des années 50 sonne le glas de la peinture. L’art déborde largement les Beaux-Arts (peinture, sculpture, architecture).

Apparaissent, en place des « beaux-arts », les « activités artistiques » : environnements, installations, happenings, performances, etc. Ce sera ensuite le minimalisme et l’art conceptuel pour lesquels l’acte artistique est plus important que son résultat ; pour lesquels, l’œuvre d’art réside davantage dans le processus de sa création que dans l ’aboutissement matériel de ce processus. L’art contextuel, lui-même, quoique en désaccord avec l’art conceptuel, met en œuvre des actions (marche, happenings, etc.) qui ne laissent guère de place à la peinture. La peinture se marginalise donc. A-t-elle pour autant aujourd’hui, disparu ?

2. On a vu, dès 1863 (Olympia de Manet), naître la peinture.

Ce que l’impressionnisme apporte avec lui, c’est bien en effet ceci que ce qui importe sur la toile ce n’est pas tant ce qu’elle représente (scène de genre, portrait, paysage, nature morte, etc.) que l’ "assemblage" des couleurs utilisées pour cette « représentation ». L’œuvre se sépare du monde, vaut pour elle-même : naissance de la peinture abstraite. Il ne reste plus aux « abstraits » proprement dits (Kandinsky, Mondrian, Malevitch et les autres) qu’à en tirer les conséquences qui donnent naissance à une peinture non-représentative (plutôt que non-figurative).

3. On a vu mourir la peinture




Se retirer encore (abs-traire davantage) ce sera se retirer de la peinture elle-même. Si l’art ne vise plus à donner une représentation du monde, comme l’avaient « cru » les renaissants, alors il n’accomplira totalement son destin qu’à se retirer lui-même du monde. Le tableau est encore, une fois achevé, un objet du monde. Supprimons le tableau et conservons seulement sa description mentale, son concept. Ni la chaise ni la photo de la chaise, mais la définition de la chaise, affirme cette œuvre de Joseph Kosuth (One and Three Chairs 1965 ). L’art conceptuel achève la peinture.

4. On assiste au retour de la peinture.

Mais quelle peinture ? On chercherait en vain des écoles voire des mouvements. Ou peut-être est-il trop tôt pour les discerner, le temps n’ayant pas fait son œuvre de tri ? Le postmodernisme ayant d’ailleurs « aplati » la dimension temporelle on trouvera des œuvres raccordables à toutes les écoles, tous les mouvements qui ont existé dans le passé ancien ou récent. Doit-on en conclure que la peinture est postmoderne ?

5. Les « reprises »

Certes, il ne s’agit pas de copies à propos des tableaux de Glenn Brown inspirés de Rembrandt, Fragonard, Greco, Velasquez, Dali …) puisque d’abord c’est à partir de reproductions sur cartes postales ou images numérisées sur internet que les œuvres prennent naissance. Mais surtout, ensuite, c’est clairement un travail de décomposition.
Un tableau est une composition. Picasso l’étudie, la change (Las Meninas, le Déjeuner sur l’Herbe), il recompose. Brown, lui, décompose aussi bien la « structure » de l’œuvre que les formes et même les chairs qui s’y présentent.









Nous avons vu Claude Verlinde emprunter à Bosch et Cranach (Cours de 3eme année, chapitre 49 sur le Postmodernisme). Samuel Bak, aussi, inspiré par Michel-Ange (Creation of Wartime III 1999), mais aussi bien par Ensor, De Chirico, (voir Cours, idem) ou Dürer.
David Salle se tourne, à son tour, vers Michel-Ange et aussi Rosenquist pour ce « montage » After Michel- angelo, the Creatio (2005-2006).



Peut-être vers Matisse et le fauvisme pour Pastoral with Candlestick and Nude (2000) ci-dessous.




Vers Rosenquist, encore, donc le Pop'art, pour Bigger Rack (1997-1998) et bien d’autres œuvres. Et vers Sigmar Polke, par exemple pour Old Bottles (ci-dessous).



C’est, on le sait, un des traits caractéristiques du postmodernisme que cette équivalence qui fait qu’on s’adresse indifféremment à Michel-Ange, Rosenquist, Rembrandt, Ensor ou Le Greco, voire qu’on mêle dans une même œuvre des emprunts à Michel-Ange et Rosenquist (Salle), à Cranach et Bosch (Verlinde).
Pour autant, on a essayé de le montrer, il n’y a pas un courant postmoderne, le postmodernisme est par essence et par le fait un fourre-tout dans lequel on a pour le moins du mal à se retrouver.

Il faut donc imaginer un moyen (on pourrait de ce fait en imaginer plus d’un) de « classer » les œuvres de peinture contemporaine dans le but de découvrir, s’il existe, un fonds, un principe commun. C’est ce à quoi nous allons nous employer à présent.

Deux méthodes peuvent être envisagées :

1. Intuitive : saisir la direction dans laquelle se dirige la peinture et la considérer à partir de son avenir, du point vers lequel elle tend. Il y faudrait du génie et/ou une connaissance plus complète que celle que nous (je) possédons.
2. Inductive : opérer un classement à partir de son passé ; se référer aux cadres qu’on connaît, tenter d’y faire entrer les œuvres contemporaines et tester leur résistance à se couler dans le moule ; du coup, saisir par là leur originalité (ce en quoi elles sont à l’origine de quelque chose de nouveau).

C’est malheureusement cette méthode par tâtonnement que nous sommes contraints d’utiliser en espérant qu’elle portera ses fruits.
En même temps, cette méthode fait appel au lecteur pour que par ses remarques, ses intuitions, ses connaissances propres, il aide à la correction et, partant, à l’évolution du processus mis en œuvre. Ses remarques son attendues à elc.carignan@free.fr (merci d'autoriser publication ou citation dans le blog).



I. QUELQUE CHOSE DE PHOTOGRAPHIQUE.

1. C’est la cas de Tim Gardner. Ses œuvres, généralement de petites dimensions dans la mesure où il s’agit de pastels et, le plus souvent, d’aquarelles, ont deux fois un caractère photographique : la première formellement (même si on n’est pas exactement au rendu hyperréaliste), la seconde au niveau du contenu. Ce contenu, c'est par exemple, des paysages. Mais pas des paysages « de peintre », plutôt des paysages « souvenirs », pris en photos au cours d’une randonnée. Des paysages d’ailleurs toujours « habités », véritables « photos souvenir d’une promenade en famille ou entre amis ». (Ci-dessous : Untitled (Glacier Lake) Aquarelle 2008).




Puis Untitled (The Blowhole, Blackcomb) Aquarelle 2008




Ce contenu, c'est encore les « photos de famille » ou d’équipe sportive. Ci dessous : Untitled (Family Portrait) Pastel on paper 2004-2005.




Ce contenu, c'est enfin des portraits ou des moments « souvenirs ». Ici : Untitled (Nick & Matt with Mirrors, Las Vegas) Aquarelle 2000.




2. Tout-à-fait différentes des œuvres comme celles de Eberhard Havekost ou de Brian Alfred. Le point de départ en est l’image : l’image photographique, cinématographique, numérique (internet). Le point d’aboutissement n’est pas la précision et la luminosité contrastée des tableaux hyperréalistes, mais une image plate, lumineuse (sans contraste) dont le contenu, là encore quoique d’une autre façon que chez Tim Gardner, est en adéquation avec la forme. Gartner peuplait ses œuvres de « type photographique » avec des sujets « de type photographie » (style « photo de famille » au sens large). Havekost et Alfred les dépeuplent au contraire. A la forme « froide » (voire glacée) répond un contenu « vide » (voire mort).
La seule trace de vie dans cet univers minéral (Brian Alfred Untitled (Diving Platform) 2000) réside dans l’éclaboussement qu’un probable plongeur qui vient de disparaître sous l’eau laisse derrière lui (rappel d’un Bigger Splach à la Hockney, 1967).



Ici, c’est le fuselage presque effacé d’un avion supposé transporter d’invisibles passagers.



Ce tremblement de terre ( Brian Alfred Ginza Earthquake 2001) qui affecte Ginza, un quartier de Tokyo ne laisse deviner aucune présence humaine.




Certes, du linge sèche sur ces balcons (Brian Alfred Balcony 2002) , témoignage d’une vie et d’une activité à l’intérieur du bâtiment. Rien ne dit pourtant que les habitants n’ont pas depuis longtemps disparu. Mieux, ces vêtements « inhabités » renforcent l’impression de vacuité.




Les immeubles de verre de Golden Hour 2009 ne reflètent que des immeubles de béton et les branches mortes de l’arbre mort.
Les intérieurs de magasins (Brian Alfred Prada 2001-2002) , sont eux-mêmes désertés : là encore, les vêtements exposés, « inhabités » ajoutent au sentiment de désolation.




Là aussi, des balcons, chez Havekost, mais pas âme qui vive (Eberhard Havekost Bowling 2 2000).




Voici des étagères (Eberhard Havekost Shelf 2002). Alors que les hyperréalistes aimaient à les représenter comblées de marchandises (on se souvient des vitrines de Don Eddy,{ voir Cours de 3eme année, Chapitre 42 L'Hyperréalisme peuplées d’objets en cristal}, ce sont des rayonnages vides qu’Havekost donne à voir. Quelques objets semblent avoir été abandonnés ici et là accentuant, cette fois encore, l’impression de vide.




Si Havekost réalise des portraits, ils sont sans visage (ou au moins sans regard). Sniper 1,2,3,(1998). Ce triptyque arrangé comme une séquence de film, laisse percevoir un visage mais dont on voit qu’il se trouble (Sniper 2) jusqu’à disparaître(Sniper 3) derrière des jumelles.




Ceci (PC 3 (1/ 2); PC 3 (2 / 2)) est un visage. Rien n’est moins sûr. C’est une série intitulée PC Serie (2002) présentant deux aspects d’un même visage fortement manipulé dont sans doute aucune des deux versions ne correspond à un original ancré dans la réalité. Un univers déserté par l’homme, peuplé … de clones.



Il y a donc deux façons au moins (hyperréalisme mis à part) de peindre dans un rapport avec la photographie.

Plus précisément, il y a deux sortes de contenus pour cette peinture :

-la banalité de la vie quotidienne (la « photo de famille » sensée, d’ailleurs, mémoriser tout ce qui, dans la vie quotidienne, sort de la banalité. Mais comme ce qui en sort est partout le même : premiers pas du gamin, communion de l’enfant, réunion de famille, etc., c’est bien la banalité qui caractérise ce type de photographie),
-et, ce qui est une autre façon de voir cette banalité (ce « vide »), un univers déserté de toute présence humaine voire vivante.
Mais, dans un cas comme dans l’autre, il semble y avoir un accord entre la forme et le contenu.
Précisons. Les œuvres d’Havekost ou d’Alfred, par la rigueur géométrique des architectures représentées, l’aplatissement lumineux de la surface, semblent provenir de l’abstraction. Celles de Gardner, à l’inverse, paraissent sortir tout droit d’un traité naturaliste voire réaliste.

Pourtant, nous faisons l’hypothèse que ce n’est pas la forme qui détermine le contenu. C’est en cela précisément que cette peinture échappe à l’emprise minimaliste, conceptuelle, abstraite de l’art moderne de la fin du XX° siècle. C’est au contraire le contenu qui détermine la forme dans cette peinture. Et c’est en cela qu’elle échappe à ce qu’est devenue la peinture depuis l’Olympia en 1863.

3. Tentons une vérification avec un autre peintre faisant usage de la photographie : Dirk Skreber. Le contenu, d’une façon générale, c’est la catastrophe. Imminente, comme dans Train Cross où on ne peut imaginer les trains s’éloignant l’un de l’autre. L’hypothèse est pourtant envisageable. Mais le tableau force l’interprétation catastrophique (on peut d’ailleurs douter que le chemin de fer connaisse de tels croisements).




Ou déjà accomplie comme dans ces scènes d’inondation. Par exemple, ci dessous, Untitled (Black Flood) 2001 Un mot de la technique. Les surfaces noires sont constituées de ruban adhésif noir ici plissé au niveau de la barque pour le sillage. Ce sera du ruban brun pour l’inondation suivante.




On remarque là encore deux choses : un traitement formel marqué par la précision (même si, à la différence des peintres précédents il peut y avoir de la matière) et la « froideur » et un contenu sans doute dramatique mais qui exclut la présence de toute forme de vie.




Qui pourrait penser que ce bâtiment (Untitled (Ultra Violence) 1999) qui ressemble davantage à une maquette qu’à un immeuble réel a été le lieu (Collège Columbine de Littelton, dans le Colorado) d’un sinistre carnage : deux adolescents ayant tué douze de leurs camarades et professeurs avant de se donner la mort (1999) ? Encore que, à bien regarder, nul signe de vie n’est apparent.




Si la catastrophe concerne un accident d’automobile, rien n’est changé. Ni dans, ni auprès des véhicules ni dans le paysage alentour à la Tanguy, rien de vivant ne se laisse même soupçonner. Et si la tôle froissée vient perturber la géométrie habituelle de la forme, le bleu « acier » ou la grisaille du paysage compense. Voir, par exemple : Dirk It Rocks Us So Hard Ho Ho Ho 3 (2002).
Il y a bien quelques figures humaines, aussi, chez Skreber, mais elles sont cachées, comme irréelles (Venue 2009 ).




4. Il ne faut pas se laisser prendre aux reproductions photographiques des œuvres de George Shaw, elle-même issues de photographies. On les croirait hyperréalistes.
Il n’en est rien. D’abord, les photographies dont part Shaw sont certes récentes, mais concernant un lieu (Tile Hill, Coventry) où le peintre a vécu son enfance, il prend soin d’en gommer tout ce qui a pu s’ajouter depuis lors. Ci-dessous : Scenes from the Passion The Evening (2001 ).




Ensuite, les « sujets » présentés n’ont rien à voir avec les vitrines ou carrosseries clinquantes des hyperréalistes. Ce sont des lieux plutôt atones: garages délabrés, chemins boueux, immeubles en béton … Rien, assurément, qui propose au peintre les reflets si chers aux hyperréalistes.




La technique utilisée, enfin, a des effets qu’un hyperréaliste répudierait dans l’instant. Il utilise de la peinture pour maquettes émaillées Humbrol qui permet une précision extrême qui rend à merveille, par exemple, les châssis blancs des fenêtres, les fines branches d’arbre dénudées mais qui, sur un amas de feuilles mortes, a un effet très « amateur », très « peintre du dimanche ».



On remarque enfin que l’univers ici présenté est totalement dépeuplé. L’armature de balançoire de The Swing (Scenes from the Passion The Swing 2001) renvoie immédiatement à l’absence des enfants qui, un jour, en usèrent. A la propre absence du peintre.



Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Shaw part à la recherche non des paysages mais des perceptions de son enfance, à la recherche de sa « première » vision du monde. Que peut-il découvrir sinon précisément sa propre absence, que cela n’est plus, que ce monde-là est vide et qu’il ne peut plus le voir comme il le voyait ?
Comment, dès lors, peindre non pas exactement ce vide mais ce constat : « il n’y a plus rien de ce que je fus » ? Il faut un traitement pictural qui à la fois idéalise et rende compte du néant auquel aboutit la recherche. Une peinture qui, en somme, idéalise un néant. Une peinture nostalgique tout en grisaille, sans profondeur, tout en surface et donc toute dans le détail. Vidé de toute humanité, voici un lieu intemporel. Intemporel comme un souvenir d’enfance.


Il y a donc une sorte de retour au monde qui s’opère dans cette peinture. Un retour qui, formellement, se fait à travers l’image : comme chez les hyperréalistes on part de photographies (ou de films ou d’images numériques), on ne peint pas sur le motif.
Mais un retour qui, du point de vue du contenu se fait à un monde déshumanisé, un monde d’où l’homme voire la vie sont absents : un monde d’après sa fin.
Ce contenu modifie très sensiblement la forme à laquelle on aurait pu s’attendre : celle de l’hyperréalisme. Celui-ci trouvait la vie dans les reflets, les jeux de lumière à la surface des choses : carrosseries automobiles, vitrines de magasins, acier reluisant des Diners ou des cabines téléphoniques. Ces reflets aboutissaient à des contrastes de lumière qui donnaient une sorte de profondeur à ce monde tout de surface.
Le monde décrit par les peintres que nous avons présentés est aussi désert que celui des hyperréalistes mais en plus, il est vide, mort. Dès lors, tout contraste est évacué et une lumière presque monochrome et froide aplatit encore la réalité.
On avait vu, déjà, avec Hirst et Von Hagens (Voir Cours de 3eme année : Chapitre 42 L'Hyperréalisme) comment, conservant la technique de l’hyperréalisme, on pouvait tendre à chercher derrière l’image. Ce qu’on découvrait alors c’était que le « corps plastiné » seul est immortel : il n’y a pas d’âme.
Même découverte de la peinture contemporaine que nous étudions : derrière l’image hyperréaliste dont elle part, il n’y a plus d’homme.
On dirait la peinture la plus contemporaine pessimiste.


II. QUELQUE CHOSE DE SURREALISTE

1. Un crâne presque effacé et une tête de chat en partie prisonnière de la mâchoire de la tête de mort. L’intéressant, pour notre propos dans cette toile Sans Titre (2001) de Denis Castellas est moins le résultat que le processus qui a permis d’y aboutir.
Le point de départ est une image-prétexte portée sur la toile. On se souvient comment Ernst utilise le frottage (Voir Cours de 2eme année : Chapitre 34 Le Surréalisme) comme point de départ d’une réalisation, ou comment Masson travaille à partir du dessin automatique. Ici, l’image prétexte devient le support d’une multitude de métamorphoses qui la font disparaître (totalement ou partiellement). Ces métamorphoses sont issues des associations de formes ou d’idées qui naissent de la première image puis des suivantes jusqu’à la décision d’arrêt.



Ci-dessous Sans titre (Lénine) 2005.




Frottage, transparence, flous, superpositions n’effacent pas le portrait de Shakespeare en Bleu et Rose (ci-dessous), mais le surdéterminent (comme Freud a montré que sont les rêves) : le poison par lequel périt le père d’Hamlet, l’œil crevé du Roi Lear, la peau spectrale ne renvoient pas seulement à l’œuvre du dramaturge, mais se confondent avec lui.



C3PO (2008), c’est le robot de George Lucas dans Star Wars. Mais ce robot en écorché. Et cet écorchement en montre la composition : les yeux, les gencives, les dents sont d’un être vivant, d’un humain. Le reste du corps d’une machine. Le paysage onirique invite à considérer ce personnage comme une créature de rêve dont Freud a montré les mécanismes de formation : ici celui de la condensation qui donne lieu à des « objets composites » ou des « personnes multiples » (je rêve d’un tel mais qui parle comme tel autre, marche comme un troisième, etc.).


Ce n’est certes pas du surréalisme, comme les œuvres précédentes n’étaient pas de l’hyperréalisme. Mais regardons d’un peu plus près. Le thème constant nous paraît être celui de la mémoire, des souvenirs. Puis-je penser à Shakespeare sans que les souvenirs au moins de titres de ses œuvres ne s’associent à cette pensée ? De Lénine j’ai retenu le visage, mille fois représenté, mais le souvenir de sa vie, de ses écrits, de son action sont bien vagues et effacés. De Kierkegaard (ce philosophe Danois qu’on dit père de l’existentialisme chrétien) dont je n’ai sans doute jamais vu le portrait, je me « souviens » comme d’un visage sans véritable corps, comme d’un front surmontant un œil acéré. ( Le Grand K (Ou bien, ou bien …) 2008).

On ne reviendra pas sur le fait que l’inconscient, chez Freud, est justement une mémoire. On insistera plutôt sur l’étroite correspondance du contenu (la mémoire précisément avec ses surgissements et ses effacements de souvenirs) et de la forme : une technique qui procède par effacement, superposition, associations de formes et d’idées. Une technique qui procède … comme la mémoire. Là encore, tout se passe comme si le contenu déterminait la forme. Aux antipodes du minimalisme. Ci-dessous, Samedis (Louis Aragon) 2009.




2. La mémoire, c’est aussi un des éléments essentiels de la peinture de Kaï Althoff. Ci-dessous, Schattenbild eines Musters möglicher empirischer Anschauungen gewindet Hans von Marées (1999) et Les Hespérides de Hans von Marées (1884) Munich,Neue Pinacothek.
Hans von Marées est un peintre allemand du XIX°S installé en Italie où il réalise des copies de peintres renaissant, puis une œuvre fortement marquée par la Renaissance. Des nus, mais pas dans l’action : dans des attitudes, des postures, des poses, des gestes.



La « reprise » qu’en fait Ahriman transpose et les silhouettes (Schattenbild) et le milieu où elle évoluent dans un univers assez différent. Ci-dessous, celui du Viol de l’Ontologie par la Logique (Die Vergewalitigung der Ontologie durch die Logik 2000) . Il y a, dans cet univers « métaphysique » seulement peuplé de « machines » assez proches de celles de Tinguely, quelque chose de Chirico.



Voici aussi For Ezra Pound (2000). Pound est un poète et un musicien américain de la première moitié du XX° s, chef de file, entre autres, du Vorticisme (mouvement voisin du futurisme) et la machine présentée par Ahriman est une machine à écrire tout à fait comparable aux machines à peindre de Tinguely.



Et puis, Zwei Gestalten des Bewußtseins (Hirte und Hirtin, die sich nach dem Mahl ausruhen und entleeren) 2006. Deux figures de la conscience (le pâtre et la bergère qui se reposent après le repas et se vident). Il y a là, incontestablement quelque chose de Magritte et de Chirico.

De Chirico, qui n’est pas un surréaliste encore qu’il ait été d’abord adulé par les participants de ce mouvement, mais qui est un peintre qu’on pourrait appeler « des espaces oniriques ». Ce peintre métaphysique est un peintre de l’énigme. Énigme d'un soir d'automne (1910), Énigme de l'oracle (1910), Énigme de l'heure (1912), par exemple. Or, toujours selon Freud, le rêve justement est une énigme.


Et là encore, entre la forme et le contenu une totale adéquation. Le rêve est une énigme, énigmatique est la peinture de Nader Ahriman. Le rêve paraît absurde, quel sens (manifeste) peut bien avoir le viol de l’on-tologie (la science de l’être) par la logique (la science du discours sur l’être) ? Certes, à la réflexion on peut être amené à comprendre (de même que le rêve se laisse interpréter). Mais ce qu’on comprendra sur le plan métaphysique (comment le fait de dire l’être le dédouble, le mot doublant la chose et devenant capable de se faire passer pour elle, d’où la querelle, au moyen-âge, des réalistes et de nominalistes à propos des Universaux) on ne le saisira pas pour autant sur le plan esthétique, sur le plan de la peinture.
Ainsi, comme pour Denis Castellas et comme pour les peintres précédemment étudiés, il semble que la coïncidence forme/contenu soit tout à fait essentielle. Que le contenu détermine la forme.

3. Formé à l’école du réalisme socialiste en RDA, Neo Raush a conservé certaines caractéristiques de ce style. C'est assez flagrant ci-dessous à gauche dans Jagdzimmer (2007). On voit, à droite, Un bel exemple d’œuvre du réalisme socialiste de Serafima Vasilevna Rjangina Toujours plus haut . Une jeunesse dynamique et enthousiaste prête à écalader les sommets les plus hauts … sur l’armature d’un pylone au haut duquel ils vont installer les cables électriques qui, avec le chemin de fer (en bas dans la vallée) vont moderniser le pays. Deux héros.



Pourtant, tout apparaît distordu par rapport au style de référence. C’est que le contenu a changé. Ce n’est plus un hymne à la gloire de la nouvelle réalité. Un univers irréel, au contraire, onirique, celui non d’une réalité matérielle mais d’une réalité psychique est venu se substituer aux exigences de la propagande. Ici (Suche 2004), une manière de pinguoin porte un message : « cherche » tandis qu’un des deux hommes à gauche paraît chercher, en effet. Mais, des deux hommes, celui qui cherche n’est pas celui qui en reçoit l’injonction.



Dans Die Fugue (2007) un trio danse en l’air. Quatre pompiers ont du mal à retenir un tuyau destiné à n’éteindre aucun feu. Un homme semble sortir, tenant des chaînes, d’une crevasse dans la terre. Quelque inconscientes qu’aient pu être les associations qui ont présidé à l’élaboration d’une œuvre surréaliste, elles se laissent apercevoir du lecteur ou du spectateur, car le poête/peintre surréaliste a soin de ne mettre en scène que des éléments inconscients « communs ». Cela ne paraît pas être le cas chez Neo Rauch. Ou alors, il s’agit d’un « inconscient pictural ». Il y a ici de « la Danse » (Bruegel, Matisse), de la « fabrique » (Poussin, le XVII°) au pied de la montagne, de la « résurrection des morts » (crucifixion du XIII au XV°s), des « poses » (presque à la Piero della Francesca, pour les pompiers).



Les personnages du Prochain train (2007) ne sont pas sans rappeler un des hommes du dejeuner sur l’herbe de Manet, pour celui de droite, un joueur de carte de Cézanne pour le plus en avant, etc. etc. Ce ne sont pas pour autant des « citations » savantes, ni des « reprises » au sens précité. Plutôt comme ce que Freud nomme « un retour du refoulé ». C’est bien en effet pour enfouir sous la conscience quasi toute la peinture antérieure que le réalisme socialiste a été inventé. Voici qu’ici, chez ce peintre formé en RDA, la peinture resurgit, dès lors de façon incongrue.
Ici, donc, le contenu c’est la peinture. Pas au sens que cela a pris depuis l’Olympia. Plutôt les thèmes, les figures (au sens le plus large) de toute l’histoire de la peinture.
Et la forme ? La seule forme véritablement adéquate pour rendre cette éruption ne pouvait être que celle de la peinture « refoulante » (réaliste socialiste) déformée.

4. C’est un peu la même chose pour Zhang Xiaopang, en particulier dans sa série Bloodline Big Family (1996) où les protagonistes adoptent en la refusant la conformation typique de la photographie de famille issue de la révolution culturelle.



La Révolution culturelle a pratiqué une destruction massive d’images historiques et aussi de la photo de famille (qui a été en Chine une forte tradition) et lui a substitué sinon un nouveau type de photo du moins un nouveau contenu : la famille des camarades.




Mais ici, ce n’est pas la peinture qui fait retour contre la forme obligée du « culturellement correct ». Quoi alors ? Le noir et blanc a un effet dé-réalisant. Il s’agit non de faire un portrait actuel, mais de retrouver des souvenirs dont le temps a effacé les couleurs. Mais alors, les « greffes » de couleur ? Elles servent à accentuer encore l’irréalité de l’ensemble (voir interview de l’artiste par CNN International/Asia du 24 octobre 2007).
Les traits distinctifs des visages semblent avoir été eux-mêmes oubliés et les figures idéalisées, intemporalisées, comme les « paysages » de George Shaw (voir plus haut). Au « réalisme » socialiste s’oppose ici un « onirisme » qu’on pourrait dire surréaliste. Le contenu (le « type » de la photo-révolution-culturelle) est conservé en apparence mais en réalité nié par le traitement qui en est fait (la forme).

Ainsi, pour retrouver les visages d’origine (non révolutioculturalisés), il faut nier les visages stéréotypés par la Révolution Culturelle. Cette négation prend ici la forme d’une onirisation (si l’on peut dire) du contenu. C’est
bien encore le contenu qui dicte ici la forme. Ci-dessous, Z x G1 Untitled (1998).


III. QUELQUE CHOSE DE POP

Rappelons d'un mot : le Pop Art (Voir Cours de 3eme Année Chapitre 41 Le Pop Art). C'est un réalisme mais pour lequel le réel se réduit à des images.

1. En 2004, à l’Université Paul Sabatier de Toulouse, sur le mur droit du hall d'accueil de l'IUP génie Chimique, deux artistes, Daniel Schlier et Richard Fauguet installent des miroirs circulaires en manière de tableaux. La technique utilisée est celle de la peinture sous verre avec cette particularité que le support est un miroir gratté partiellement, de façon à dégager l'argenture. La partie devenue transparente est peinte par la suite. L’ensemble est retourné de sorte que c’est la surface vitrée qui est présentée au spectateur.
Or, il se trouve que ce principe est celui de la technique traditionnelle utilisée pour les icônes populaires en Europe Centrale.


Mais voici une figure (huile et acrylique) qui se détache sur fond de feuille d’or : Nu (Aurélie) avec un busard ( 2008) . Cette fois il n’y a plus de doute : c’est l’icône que Schilier convoque.



Observons à présent les figures. Par exemple ces Deux personnages à la tête de vache (bleue) de 2006. La composition de l’œuvre n’est pas sans rappeler La Vierge, l’Enfant, Sainte Anne et Saint Jean-Baptiste (1516) de Léonard de Vinci. Par conséquent : un sujet religieux.



On remarque en outre un aspect hiératique de ces figures souvent, en outre, accompagnée d’un « attribut ». Cet aspect hiératique est caractéristique des icônes et l’attribut est très souvent associé à un saint (le lion pour Saint Jérôme, la roue dentée pour Sainte Catherine, etc. sans parler des animaux du Tétramorphe associés aux Evangéliste (Voir Cours de Première année,Chapitre 15 Saints & Prophètes ).
Ci-dessous, Chevalier moteur (2008) et Chevalier mesurant un rhinocéros (2008).



Partons de la technique. Ce que Schilier donne à voir, ce sont des sous-verres. Ses portrait, ses personnages sont à l’abris derrière une plaque de verre. Comme tels, inaccessibles.
N’est-ce pas ce à quoi nous a accoutumé l’écran de verre du poste de télévision à travers lequel le monde se donne à voir ? Les héros d’aujourd’hui sont ces personnages découpé dans le cadre de l’écran à la fois proche, d’une présence saisissante qui nous captive, et lointains parce qu’intouchables derrière leur protection de verre.
Mais quel est le sens de l’icône ? Cela n’a jamais été de donner une représentation, une image de Dieu (n’en déplaise aux iconoclastes). La fonction précise de l’icône c’est d’être justement la présence de la divinité (on serait idolâtre si l’on adorait une image) ou de la sainteté.
Comment, alors, mieux que par la technique propre à la production des icônes populaires mettre en évidence notre comportement face au si envahissant (et populaire) « petit écran » derrière la vitre duquel nous voyons à chaque instant un monde qui, précisément parce que c’est ainsi que nous le voyons, nous échappe ?
Ici, encore une fois, le contenu dicte la forme.



2. La peinture de Miha Strukelj est entièrement conditionnée par l’image numérique. Ici un pont, là le bâtiment explosé de Tchernobyl,

ailleurs des images de la première guerre « virtuelle », celle du Golfe. Ou encore des images scannées du cerveau de l’artiste après un accident, sorte d’autoportrait traumatique (Self portrait III 1997) .



Notre rapport au monde, du moins notre vision du monde est de plus en plus virtuelle. L’image numérique se veut plus fidèle parce que plus détaillée, mais précisément à cause de cette fidélité elle a toute facilité de se faire passer pour le réel qu’elle duplique.
La révolution du numérique c’est que la copie ne se distingue plus de l’original. Un enregistrement analogique (son ou image) perdait en qualité à chaque duplication. La « copie » numérique d’une « gravure » originale n’est en rien distincte de l’original.
Cette perfection a son côté négatif : nous finissons par prendre le clone de la réalité pour la réalité elle-même. Ainsi, la réalité vacille dans notre perception.Qu’est-ce qui distingue le cockpit d’un hélicoptère dans un jeu vidéo (ci-dessous : Cockpit virtuel) du cockpit d’un hélicoptère engagé dans la Guerre du Golf ? La guerre du Golf a été dite « virtuelle », c’est-à-dire identifiée à un jeu vidéo.

Ce vacillement, il est rendu par la touche. Attention ! On connaissait la touche impressionniste, par exemple, opposée au lissé, au poli de la peinture classique. Ce que Strukejl met en évidence, c’est la touche numérique. L’image se fait prendre pour la réalité (Platon invente l’allégorie de la Caverne avant que les frères Andy et Larry Wachowski n’inventent Matrix). Mais, grossissons-là. Il arrive un moment où elle révèle sa structure d’image, sa dimension de grille seulement posée sur le réel.




A ce moment-là, notre vision vacille en effet. Et bien, c’est cette incertitude que Strukejl Fait passer dans sa peinture (contenu). Comment ? En calquant la touche picturale (il peint à l’huile) sur la « touche » numérique. (forme).


C’est ici comme ailleurs, semble-t-il : forme et contenu en complète harmonie. Et c’est le contenu qui précède
et détermine la forme .


Il est temps, à présent de poser la question : qu’est-ce que ce contenu ?

Depuis Olympia on se demande ce qu’est la peinture et comment elle se situe par rapport au monde qu’elle représentait autrefois. Quoi qu’on fasse, tout part de la peinture : la forme précède le contenu : la peinture détermine le « monde peint » (voir par exemple la construction d’un espace de la peinture chez Picasso et chez Matisse, chez Cézanne et chez les Fauves).

Ce qui semble se produire avec la peinture contemporaine, c’est un renversement : le monde précède et détermine la forme picturale. On est passé de l’idéalisme au réalisme (au sens philosophique strict de ces deux termes).
Serait-on de la sorte revenus à la représentation évacuée à la fin du XIX° siècle ? Pas un instant. Car le monde lui-même est devenu une représentation (et pas au sens de Schopenhauer !). Le Pop Art l’avait vu, les hyperréalistes aussi bien qui désignaient le monde comme une image, un gigantesque hypermarché des marques. Nous ne voyons plus que l’image des choses et encore : en tant qu’elles sont d’une façon ou d’une autre consommables.

Il nous semble que la peinture contemporaine va plus loin. Qu’elle s’interroge sur le résultat de cette mise en image du réel, son résultat sur l’homme. Et qu’elle en tire la conséquence : le monde est un désert duquel l’homme a disparu. Ce que la littérature de Science Fiction (et le cinéma qui lui a emboîté le pas) dénonce depuis des lustres.

Il n’y a là bien sûr qu’une hypothèse, le nombre des artistes passés en revue jusque là étant encore bien faible.


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